Cartographie d’une tragédie : les juifs en France et en Belgique (1940-1944) 

Entre 1940 et 1944, les frontières de la République française et du Royaume de Belgique font place à

  • des zones occupées (par l’Allemagne ou par l’Italie) et non-occupées
  • des zones interdites ou annexées

Ce nouveau découpage évolue lui-même entre 1942 et 1943.

Selon le moment et selon l’endroit, la situation des Juifs persécutés puis traqués présente des facteurs défavorables ou très défavorables.

Pour échapper aux mesures qui les visent, de nombreux juifs (souvent étrangers) sont passés d’une zone à l’autre.

Voici quelques repères pour chercher leurs traces …

ZONES OCCUPÉES

(1940 -1944)

Les deux administrations militaires d’occupation allemande : Belgique et France occupées

Ces administrations sont dirigées par des officiers supérieurs de l’armée de terre, portant le titre de “ commandant militaire ” (Militärbefehlshaber). Ce sont des gouverneurs militaires qui assurent le “ contrôle et la surveillance de l’administration et de l’économie du pays occupé, y compris l’exploitation du pays pour les besoins des troupes d’occupation et de l’économie de guerre allemande ”

La politique d’occupation s’appuie sur la collaboration des administrations nationales.

Ces régimes d’occupation instaurent des ordonnances antijuives qui vont conduire à la déportation de tous les juifs situés sur ces territoires après 1942. (voir camp de Vittel)

La Belgique occupée

La zone militaire d’occupation dite « de la Belgique » diffère de l’actuel territoire belge :

  • elle ne couvre pas les arrondissements d’Eupen et de Malmédy (annexés) (pas de présence juive)
  • elle s’étend aux départements français du Nord et du Pas-de-Calais (dont les camps pour travailleurs forcés juifs du Mur de l’Atlantique)

Pendant la majeure partie de l’occupation, le Commandant militaire allemand (Militärbefehlshaber) situé à Bruxelles était le général Alexander von Falkenhausen.

La gestapo et les SS se précoccupent également des juifs situés dans cette zone.

• La zone française occupée par l’Allemagne 

Cette zone militaire d’occupation comprend toute la moitié septentrionale de la France actuelle ainsi que sa façade maritime occidentale (de Dunkerque à Saint-Jean-de-Luz).

De ce fait, Paris et la majeure partie des industries françaises se retrouvent sous ce régime allemand d’occupation.

Le commandant militaire allemand en France (Militärbefehlshaber in Frankreich) installé à Paris (Otto von Stülpnagel jusqu’en février 1942) était initialement le représentant suprême du pouvoir allemand en France occupée. Mais un « ambassadeur » allemand est également désigné, qui est aussi l’interlocuteur officieux du régime de Vichy (voir ci-dessous).

Des dizaines de milliers de juifs vivent évidemment dans cette zone.

• La zone française occupée par l’Italie 

L’Italie fasciste n’occupe qu’une zone frontalière limitée couvrant principalement la ville de Menton (avec des tentatives d’italianisation) et des fortifications le long de la frontière alpine (Alpes maritimes, Basses Alpes -Alpes-de-Haute-Provence depuis 1970, hautes Alpes, Savoie).

ZONE NON OCCUPÉE

1940-1942

• La zone française non-occupée (Gouvernement de Vichy)

Cette zone instaurée par le traité d’armistice de 1940 couvre le sud de l’actuelle métropole française ainsi que sur les trois départements algériens et les territoires de l’Empire colonial français.

Elle est dirigée par un gouvernement dit « de l’État français » qui s’est installé dans la station thermale de Vichy (Pétain).

Le gouvernement de Vichy est hostile aux juifs étrangers et aux juifs citoyens français (par exemple la famille de Simone Veil). Sa première loi antijuive précède l’instauration des premières ordonnances allemandes anti-juives en France occupée par l’Allemagne).

En zone non-occupée, Vichy organise en août 1942 une rafle systématique de tous les juifs étrangers. Ils seront déportés via le camp de rassemblement de Drancy (Paris).

Vichy conserve en principe l’autorité hiérarchique sur les services de l’état dans les autres zones. En réalité, cette autorité ne sert qu’à collaborer avec les puissances occupantes (à l’exemple de la collaboration française contre les juifs parisiens – rafle du billet vert, Vel d’hiv …).

Le régime de Vichy continue d’exister après novembre 1942 mais la zone est occupée par l’Allemagne et l’Italie.

Entre France occupée et France non occupée : la ligne de démarcation

Cette ligne de démarcation s’étend de la frontière suisse (à hauteur de Genève) et passe par Dole, Moulins, Bourges, Tours, Angoulême, Mont-de-Marsan, jusqu’à Saint-Jean-Pied-de-Port. Son tracé ne respecte pas les limites des départements traversés.

Il s’agit d’une frontière interne quasiment étanche : la circulation des personnes, des marchandises et du courrier est très restreinte. Elle est un obstacle pour les juifs persécutés qui cherchent à gagner la zone sud initialement (réputée par erreur comme moins défavorable) et initialement moins surveillée.

La ligne de démarcation est maintenue après l’invasion de la zone non-occupée en 1942.

LES TOURNANTS DE 1942 ET DE 1943

• Novembre 1942 : la fin de la zone non-occupée

Du point de vue allemand 

Les troupes allemandes envahissent cette zone en réaction au débarquement allié en Afrique du Nord.

Dans la zone nouvellement occupée, l’administration militaire doit parer au plus pressé : maintien de l’ordre et répression, organisation de l’économie, …

Durant cette période jusqu’à la libération en 1944, la seule chance de survie pour les juifs est de vivre dans la clandestinité.

Du point de vue italien 

En concertation avec l’allié allemand, les troupes italiennes occupent la Corse, Nice et une zone le long de la rive gauche du Rhône. Des villes telles que Lyon, Marseille, Aix ou Avignon sont sous contrôle allemand.

Dans leur zone d’occupation, les autorités italiennes protègent les juifs des nazis et de Vichy. Des centres de « résidence forcée » (Vence et Saint-Martin-Vésubie) leur servent de protection.

• Septembre 1943 : la fin de l’occupation italienne

Des juifs sous occupation italienne s’échappent d’ailleurs vers l’Italie à partir de septembre 1943 (armistice entre les Italiens et les alliés).

Le régime de Mussolini s’est effondré (République sociale italienne dite de Salò).

ZONES INTERDITES, RÉSERVÉES OU ANNEXÉES

1940-1944

• L’annexion de l’Alsace-Lorraine

L’Alsace-Lorraine devient partie intégrante du Reich.

Le département de la Moselle rejoint la Sarre dans le Gau (région) de la “ Marche de l’Ouest ” (Westmark) (subordonné au Gauleiter de Sarrebruck) et les départements du Haut-Rhin et du Bas-Rhin fusionnent avec le pays de Bade (sous l’autorité du Gauleiter de Karlsruhe qui déménage une partie de ses services à Strasbourg).

Cette zone annexée est soumise à une germanisation forcée. De ce fait, les habitants de la zone qui sont déclarés inassimilables sont expulsés vers la France.

C’est ainsi que plusieurs milliers de juifs français d’Alsace et de Lorraine sont expulsés en zone non-occupée. Leurs leurs biens, intérêts et droits sont confisqués au profit de l’Allemagne.

Des expulsés s’installent autour de Limoges ou se retrouvent dans des camps d’internement de Vichy.

• La zone interdite entre le Nord-Pas-de-Calais et la zone française occupée par l’Allemagne

Une “ zone interdite ” ferme le passage et le retour de personnes qui avaient pris le chemin de l’exode en été 1940. Elle isole le Nord-Pas-de-Calais (zone belge d’occupation allemande) de la zone française d’occupation allemande. Cette zone interdite est délimitée par une ligne allant de l’estuaire de la Somme jusqu’aux Ardennes en passant par Amiens et entre Laon et Reims, de même qu’à Mézières.

• La zone réservée entre l’Alsace-Lorraine et la zone occupée par l’Allemagne

Cette zone est assez comparable à l’ancienne frontière occidentale du Saint Empire romain germanique. Elle suit une ligne reliant Mézières, Bar-le-Duc, Langres, Dôle.

Des zones interdites ou réservées destinées à une exploitation agricole au profit de l’Allemagne

Une société allemande d’exploitation agricole a été fondée en en février 1940 en vue de la colonisation agricole de certains territoires polonais conquis l’année précédente.

L’action de cette Ostland, (abréviation de Ostdeutsche Landbewirtschaftungsgesellschaft, société d’exploitation agricole d’Allemagne de l’Est) a aussi été orientée vers l’ouest après la victoire de 1940 dans les deux zones précitées.

La Ostland prend principalement en gestion des exploitations dépourvues d’exploitants (appartenant à des agriculteurs ayant pris le chemin de l’exode et empêchés de rentrer ou prisonniers de guerre) ou procède à des confiscations. Ces mesures n’ont généralement guère affecté des juifs vivant en France à cette époque.